Présenter un urinoir dans une exposition d’œuvres d’art peut paraître une idée scandaleuse. Et pourtant, il y a un peu plus d’un siècle, Marcel Duchamp a osé le faire, et a présenté cet équipement au comité d’organisation. Certes, l’idée a suscité de vives réactions à l’époque. Mais aujourd’hui, elle est perçue comme l’initiative la plus audacieuse jamais entreprise dans le monde de l’art, et qui a forcément marqué son histoire. Marcel Duchamp, précurseur de l’art contemporain L’urinoir a été pour la première fois présenté comme un œuvre d’art par Marcel Duchamp, lors d’une exposition à New York en 1917. Membre fondateur de l’association Society for Independants Artists, ce dernier a voulu tester ce qu’il considérait comme l’ouverture d’esprit du comité en charge de sélectionner les œuvres présentées lors de cette exposition. Il a alors acheté un urinoir en porcelaine dans un magasin new-yorkais, l’a baptisé Fontaine » et l’a présenté tel qu’il était à l’origine à ce comité, en y ajoutant simplement la signature ». Son geste n’a généré que des scandales et l’urinoir n’a finalement pas été accepté à l’exposition. Bien que sa tentative ait échoué, Marcel Duchamp a néanmoins réussi à intégrer une nouvelle pratique dans le monde artistique du 20e siècle, celle de présenter un objet manufacturé lors d’une exposition et de transformer un objet du quotidien en œuvre d’art. Ces objets ont d’ailleurs un nom, les ready-made. Est qualifié de ready-made tout objet manufacturé transformé en œuvre d’art après qu’un artiste s’en est approprié. Il peut alors y ajouter une date, un titre ou une inscription, et procéder à une légère modification. L’objet sera ainsi détourné de son usage habituel et requalifié d’œuvre d’art. De son temps, Marcel Duchamp en a exposé plusieurs, à l’exemple de la Roue de bicyclette, une roue de bicyclette fixée sur un tabouret en bois ; les porte-bouteilles en fer galvanisé ou le peigne en acier. Par ses nombreuses présentations, l’artiste français est ainsi considéré comme le pionnier du ready-made. Il n’est cependant pas le premier à avoir introduit l’urinoir dans le monde artistique. L’urinoir dans les œuvres antiques Certes les représentations sont différentes de l’urinoir moderne de Marcel Duchamp. Mais avant ce dernier, d’autres artistes-peintres ont déjà mis en scène cet équipement à travers leurs œuvres. Une pratique qui a notamment été promue au Moyen-Age du 5e au 15e siècle et au cours du développement du mouvement baroque milieu du 16e jusqu’au milieu du 17e siècle, époques pendant lesquelles l’urine ne suscitait pas du dégoût. À l’époque, il véhiculait même une idée de santé et symbolisait la vie intérieure. En effet, au Moyen-Age, l’urine était utilisée pour diagnostiquer une maladie. Lors d’une auscultation, les médecins observaient donc le pouls et l’urine du patient. Ce dernier se servait alors d’un bocal en verre pour la miction, donné ensuite au médecin qui va l’examiner. Cette scène devient courante sur les tableaux réalisés au cours du Moyen-Age, relatant des soignants qui s’adonnent à leur fonction. Celui de Hans Süss est l’un des plus connus, représentant les attributs de saint Damien et saint Côme, patrons des chirurgiens et des pharmaciens de leur époque. Sur ce tableau, il est possible de les voir chacun tenir un bocal, qui représente alors un urinal. À partir du 18e siècle, aucune représentation de ce type n’a pourtant plus été réalisée dans le monde artistique. En effet, avec le développement de l’hygiénisme, l’urine ne fascinait plus autant les artistes. L’art s’est même développé autour d’un nouveau concept, le bon goût, qui ne laissait aucune place aux excréments. L’urinoir, lui, ne sera plus représenté à travers les œuvres d’art qu’après le développement de l’art contemporain et moderne. Néanmoins, même du temps de l’art contemporain, les œuvres qui osaient les afficher n’attiraient que des scandales. L’après-Duchamp Marcel Duchamp se présentait donc comme celui qui a repris les concepts de l’art du Moyen-Age ou de l’âge baroque. Mais après le scandale qu’il a provoqué, l’urinoir n’était plus présent dans aucune autre exposition. Les artistes qui l’ont suivi ont toutefois repris le concept de l’artiste français, qui a toujours voulu que l’art soit défini suivant le choix de l’artiste et non à la base des notions de beau et de laid. L’artiste américain Andy Warhol fait partie de ceux qui se sont inspirés de cette idée, et a par exemple transformé une boîte de soupe en œuvre d’art. Il a également enrichi ses collections avec divers objets de consommation, en se référant à son histoire personnelle ou à la culture populaire. En ce qui concerne l’exposition des équipements sanitaires, c’est le sculpteur italien Maurizio Cattelan qui les a repris pour les introduire à nouveau dans le monde artistique. Celui-ci a conçu des toilettes en or massif, qui se sont vues attribuer l’intitulé America ». Il a choisi le musée de Guggenheim, à New York, pour exposer ses œuvres, censées représenter le rêve américain et symboliser les inégalités créées par le système capitaliste.
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